Monday, November 30, 2015

Anticipation.Le réchauffement climatique et Cli-Fi - en francais by THIERRY RABOUD in laliberte.cn a la Suisse

«Je ne pouvaisignorer un tel paradigme»



Avec «Semences», l’écrivain français Jean-Marc Ligny prolonge une série d’ouvrages d’anticipation climatique lancée avec Aqua TM. Il y décrit un monde où l’humanité s’est morcelée et affaiblie face aux rigueurs terrifiantes du climat. De quoi faire de cet écrivain un digne représentant francophone de la «cli-fi», étiquette dont il dit s’accommoder. A partir de quand avez-vous travaillé sur le changement climatique? Jean-Marc Ligny: Cette notion a émergé dans ma conscience (et par suite, dans mon travail) au tournant du siècle, quand elle a commencé à s’infiltrer dans les médias et que je me suis rendu compte de son caractère inéluctable. J’ai alors compris que le changement climatique était inévitable, même si l’on prenait des mesures drastiques pour le réduire – ce dont je doutais fortement. Pourquoi l’avoir placé au cœur de vos récents ouvrages? Ma démarche n’était pas d’expliquer le changement climatique en lui-même – il existe là-dessus une documentation très abondante et très explicite – mais d’imaginer ses effets sur la société et sur la conscience humaine. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, son avenir était pour ainsi dire tracé: on allait vers une dégradation importante des conditions de vie sur la planète, qui mènerait à terme à une extinction massive des espèces, y compris de l’humanité – ou du moins, de notre civilisation. En tant qu’auteur de science-fiction, je ne pouvais ignorer un tel paradigme. «Semences» se passe en 2300. Sur quoi vous êtes-vous basé pour rendre crédible cette anticipation littéraire? A une telle distance, on nage dans l’incertitude. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dans ses rapports officiels, ne se hasarde pas à faire des prévisions à si long terme. Toutefois, peu après l’écriture d’Exodes, j’ai eu la chance de rencontrer Valérie MassonDelmotte, membre du GIEC et experte en paléoclimatologie. Elle m’a donné quelques conseils et orientations, d’après ses connaissances des changements climatiques du passé. Puis elle m’a proposé d’organiser un séminaire afin de discuter du cas de Semences avec d’autres spécialistes de la faune, de la flore, des océans, de l’atmosphère, etc. Nous nous sommes retrouvés une vingtaine d’éminents scientifiques à élucubrer sur ce que pourrait devenir la planète dans trois siècles. L’essentiel du contexte de Semences vient de là. TR > Jean-Marc Ligny, Semences,
Anticipation.Le réchauffement climatique dérègle notre écosystème,mais inspire aussi un nouveau genre littéraire. THIERRY RABOUD «Mère-Nature s’est vengée. Elle les a brûlés avec des flots de lave, les a empoisonnés avec des nuages de soufre, les a rongés avec des pluies d’acide. Elle a englouti dans l’océan des cités entières, changé des régions fertiles en déserts stériles.» Dans trois siècles, changement climatique oblige, l’homme aura fort à faire pour survivre sur une Terre devenue inhospitalière. C’est du moins la prophétie inquiétante de Jean-Marc Ligny, qui vient de sortir l’excellent Semences, un étonnant roadmovie survivaliste. Le romancier français n’est pas le premier à faire des dérèglements, supposés ou avérés, de notre écosystème planétaire, un puissant ressort dramatique. Jules Verne s’en inspirait déjà, les séries télévisées et le cinéma hollywoodien ne cessent d’empoigner la thématique (lire page suivante). Des «écofictions» qui, par leur puissance symbolique et leur ambition visionnaire, semblent plus que jamais répondre aux préoccupations de notre temps, alors que la Conférence de Paris sur le climat (COP21) s’ouvre lundi. Inspirer une nouvelle tendance En 2012, Christian Chelebourg dressait déjà un inventaire critique de ces nombreuses «mythologies de la fin du monde», au fil d’un essai foisonnant. Et parmi les menaces plané- taires – mutations génétiques ou guerres nucléaires – dont ces fictions se nourrissent, le chercheur n’omettait pas celle-ci, de plus en plus prégnante: le réchauffement climatique. Au point qu’un nouveau genre littéraire a récemment vu le jour, la «cli-fi», abréviation de «climate-fiction». Le néologisme est né sous la plume de Dan Bloom, un reporter américain aujourd’hui retraité. «J’ai utilisé ce terme la première fois sur mon blog, pour décrire un film d’anticipation sur le changement climatique. Un mot qui fait écho à «sci-fi», pour science-fiction. A partir de 2013, ce terme, relayé par une radio américaine puis par diffé- rents articles de presse, est devenu populaire», explique le septuagénaire, qui dit avoir voulu «stimuler, inspirer, motiver une nouvelle tendance chez les écrivains du monde entier». Il semble y être parvenu car le genre climatique fait florès, surtout en langue anglaise, porté par des auteurs majeurs comme Ian McEwan (avec Solar), Kim Stanley Robinson (Sixty days and Counting) ou encore Margaret Atwood (MaddAddam). La France s’y met lentement avec quelques auteurs comme Claude Ecken (La Saison de la colère) ou Jean-Marc Ligny (lire ci-contre). «Il y a encore des exemples d’auteurs allemands, finlandais, norvégiens, islandais ou espagnols», précise Adeline Johns-Putra, professeur de littérature à l’Université de Surrey et ancienne présidente de la section anglaise de l’Association pour l’étude de la litté- rature et de l’environnement. Une association, née au cours des années 1990, qui porte dans le monde entier le flambeau académique de l’«écocritique», un courant de critique littéraire sensible aux thématiques environnementales. «Les écrivains ont pris leur temps pour évoquer le changement climatique», continue la spécialiste. «Probablement car les éditeurs, jusqu’à récemment, ne le considéraient pas comme un thème d’importance. Même un écrivain majeur comme Kim Stanley Robinson a eu fort à faire pour convaincre son éditeur de publier sa trilogie sur le changement climatique.» Pour elle, quelque 100 à 150 auteurs actuels, toutes langues confondues, pourraient être gratifiés de l’étiquette «cli-fi», «un nombre appelé à progresser». Ce n’est pas Dan Bloom qui dira le contraire. Pour lui, pas de doute: le changement climatique est «la menace existentielle la plus importante à laquelle les espèces humaines aient jamais été confrontées». Transformer cette angoisse contemporaine en fiction serait ainsi un moyen de mieux l’appréhender. C’est aussi l’avis de Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs à Yverdon, pour qui les extrapolations à partir de la question climatique rendent ce futur crédible aux yeux du lecteur, mais servent surtout à concrétiser cette notion. «En montrant la catastrophe climatique mais aussi sa symbolique, cette littérature investit émotionnellement une réalité assez abstraite. Ces textes permettent de multiplier les représentations alternatives à celles, pauvres et uniformes, qui existent sur le changement climatique», souligne-t-il. De quoi favoriser une prise de conscience globale? «Non, la littérature d’anticipation n’a pas de vocation instructive, elle suppose une prise de conscience antérieure à la lecture», pour Marc Atallah. Et Adeline Johns-Putra d’abonder: «Alors que la propagande cherche à influencer les esprits, la bonne littérature donne à penser. Les écrivains peuvent surtout changer les choses indirectement, en inspirant et provoquant le débat.» Nul doute que les ouvrages fraîchement étiquetés «cli-fi» continueront longtemps à nourrir les discussions sur le changement climatique. «La question est dans tous les esprits, même de manière inconsciente, conclut Dan Bloom. C’est dans l’air!» Un air qui, inexorablement, se ré- chauffe. Et ça, ce n’est malheureusement pas de la fiction. I > A découvrir: Reportages climatiques (Ed. d’Autre part), qui rassemble les impressions de 12 auteurs romands sur le festival climatique genevois Alternatiba. > L

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